DOCERE

Pier Paolo Pasolini

« L'acceptation du fascisme a été quelque chose d'atroce : mais l'acceptation de la civilisation bourgeoise capitaliste est un fait définitif, dont le cynisme n'est pas seulement une faute, la énième dans l'histoire de l'Église, mais bien une erreur historique que l'Église paiera probablement de son déclin. Car elle n'a pas pressenti - dans son aveugle obsession de stabilisation et de fixité éternelle de sa fonction éternelle - que la bourgeoisie représentait un nouvel esprit, qui n'était certes pas celui du fascisme : un nouvel esprit qui, dès l'abord, s'est révélé concurrent de l'esprit religieux (dont il ne conserve que le cléricalisme) et qui finira par prendre sa place pour fournir aux hommes une vision totale et unique de la vie (sans plus avoir besoin du cléricalisme comme instrument de pouvoir). »

— Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, éd. Flammarion, p. 51

« Il n'y a en effet rien de religieux dans le modèle du jeune homme et de la jeune femme proposé et imposé par la télévision. Ce sont deux personnes qui ne donnent de valeur à la vie qu'à travers les biens de consommation (et, bien entendu, ils vont encore à la messe le dimanche : en voiture). »

— Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, éd. Flammarion, p. 63

« Sa tolérance [du nouveau pouvoir] est fausse et, en réalité, jamais aucun homme n'a dû être aussi normal et conformiste que le consommateur. »

— Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, éd. Flammarion, p. 90

« Ils savent que la culture produit des codes, que ces codes produisent un comportement, que ce comportement est un langage, et que, dans une période de l'histoire où le langage verbal est complètement conventionnel et vide (technicisé), le langage du comportement (physique et mimique) a une importance décisive. »

— Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, éd. Flammarion, p. 91

« Aujourd'hui, tous les jeunes Italiens font ces mêmes actes, ont ce même langage physique, sont interchangeables, ce qui serait une chose vieille comme le monde si elle se limitait à une classe sociale, à une catégorie. Mais le fait est que ces actes culturels et ce langage somatique sont de toutes les classes. Sur une place remplie de jeunes, personne ne peut plus distinguer - ce qui était encore possible en 1968 - à son extérieur un ouvrier d'un étudiant, un fasciste d'un antifasciste. »

— Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, éd. Flammarion, p. 91

« La fièvre de la consommation est une fièvre d'obéissance à un ordre non énoncé. »

— Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, éd. Flammarion, p. 109

« La « participation » des masses aux grandes décisions historiques « formelles» est en réalité voulue par le pouvoir; un pouvoir qui, précisément, a besoin d'une consommation de masse et d'une culture de masse. »

— Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, éd. Flammarion, p. 111

« En reprenant une lutte qui d'ailleurs est dans sa tradition (la lutte de la papauté contre l'empire), mais pas pour la conquête du pouvoir, l'Église pourrait être le guide, grandiose mais non autoritaire, de tous ceux qui refusent (c'est un marxiste qui parle, et justement en qualité de marxiste) le nouveau pouvoir de la consommation, qui est complètement irréligieux, totalitaire, violent, faussement tolérant et même, plus répressif que jamais, corrupteur, dégradant (jamais plus qu'aujourd'hui n'a eu de sens l'affirmation de Marx selon laquelle le Capital transforme la dignité humaine en marchandise d'échange). C'est donc ce refus que l'Église pourrait symboliser, en retournant à ses origines, c'est-à-dire à l'opposition et à la révolte. Faire cela ou accepter un pouvoir qui ne veut plus d'elle, ou alors se suicider. »

— Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, éd. Flammarion, p. 136

« Aujourd'hui la liberté sexuelle de la majorité est en réalité une convention, une obligation, un devoir social, une anxiété sociale, une caractéristique inévitable de la qualité de vie du consommateur. »

— Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, éd. Flammarion, p. 160

« Si le législateur n'arrivait pas toujours en retard [...] il pourrait tout résoudre en insérant le délit d'avortement dans celui, plus vaste, d'euthanasie, et en lui accordant une série particulière de « circonstances atténuantes » précisément de caractère écologique. »

— Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, éd. Flammarion, p. 163

« Chaque enfant qui naissait autrefois, représentant une garantie de vie, était béni, tandis que chaque enfant qui naît aujourd'hui, contribuant à l'autodestruction de l'humanité, est maudit. »

— Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, éd. Flammarion, p. 164

« Mais ce qui intéresse un tel pouvoir, ce n'est pas un couple générateur d'enfants (prolétaires), mais un couple consommateur (petit-bourgeois) : il a donc déjà in pectore l'idée de la légalisation de l'avortement (comme il avait déjà celle de la ratification du divorce). »

— Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, éd. Flammarion, p. 165

« Il n'existe aucune bonne raison pratique qui justifie la suppression d'un être humain, même dans les premiers stades de son évolution. Je sais que dans aucun autre phénomène de l'existence on ne trouve une aussi furieuse, totale et essentielle volonté de vie que dans le fœtus. Sa volonté d'actualiser la potentialité qu'il est, en reparcourant avec une rapidité foudroyante l'histoire du genre humain, a quelque chose d'irrésistible et par là d'absolu et de joyeux. Même si c'est un imbécile qui va naître. »

— Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, éd. Flammarion, p. 176

« Qu'est-ce qui rend réalisables les affreuses entreprises de ce phénomène imposant et décisif qu'est la nouvelle criminalité? C'est encore terriblement évident; le fait que l'on considère que la vie d'autrui n'est rien et notre propre cœur un simple muscle. »

— Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, éd. Flammarion, p. 195

« Personnellement, je ne crois pas que la forme actuelle de tolérance soit réelle. Elle a été décidée « en haut » : c'est la tolérance du pouvoir de la consommation, qui a besoin d'une élasticité formelle absolue dans les « existences », pour que chacun devienne un bon consommateur. Une société sans préjugés, libre, dans laquelle les couples et les exigences sexuelles (hétérosexuelles) se multiplient, et par conséquent avide de biens de consommation. Il est certainement plus difficile de comprendre et de reconnaître cela à une mentalité libérale française, qu'à un progressiste italien, qui sort du fascisme et d'un type de société agricole et paléo-industriel et qui, donc, se trouve « sans défense » face à ce monstrueux phénomène. »

— Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, éd. Flammarion, p. 272

« Une bonne partie de l'antifascisme d'aujourd'hui, ou, du moins, de ce que l'on appelle antifascisme, est soit naïve et stupide, soit prétextuelle et de mauvaise foi; en effet, elle combat, ou fait semblant de combattre, un phénomène mort et enterré, archéologique, qui ne peut plus faire peur à personne. C'est, en somme, un antifascisme de tout confort et de tout repos. »

— Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, éd. Flammarion, p. 286

« Je suis profondément convaincu que le vrai fascisme est ce que les sociologues ont trop gentiment nommé la « société de consommation ». »

— Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, éd. Flammarion, p. 286

« Parce que c'est le vrai fascisme d'où découle l'antifascisme de matière : inutile, hypocrite, et, au fond, apprécié par le régime. »

— Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, éd. Flammarion, p. 290